Aimé CESAIRE

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Aimé CESAIRE -

 

Sa formation - Ses engagements politiques - Ses engagements littéraires

 

 

 


 

Aimé Fernand David CESAIRE est né le 26 juin 1913 à Basse-Pointe (nord de la Martinique).

Mort le 17 avril 2008 à Fort-de-France (Martinique).

 

 

I - Sa formation

 

Il nait dans une famille de sept enfants, et grandit dans un milieu cultivé : son père était fonctionnaire, son grand-père fut le premier enseignant noir en Martinique et sa grand-mère, contrairement à beaucoup de femmes de sa génération, savait lire et écrire.

Elle en enseigna d’ailleurs très tôt à ses petits-enfants la lecture et l'écriture.

 

1924 : il obtient une bourse pour le lycée de Fort-de-France où il fait de bonnes études.

Professeurs : le poète antillais Gilbert GRATIANT (un des premiers à écrire ses poèmes en créole) et le philosophe MANNONI (1899-1989, auteur de La psychologie de la colonisation).

Camarade : le futur poète guyanais Léon-Gontran DAMAS (1912-1978, Poèmes nègres sur des airs Africains), qui sera le cofondateur avec SENGHOR et CESAIRE du mouvement de la négritude.  

 

septembre 1931 : bachelier il quitte la Martinique pour Paris, en tant que boursier du gouvernement français, pour entrer en classe d'hypokhâgne.

Camarade : Léopold Sédar SENGHOR (1906-2001, poète, écrivain et homme politique, premier président du Sénégal, premier académicien africain, Le lion rouge) avec qui il noue une amitié qui durera jusqu'à la mort de ce dernier.

Il découvre à Paris la littérature récente, et l’activité fébrile des cercles d’étudiants antillais et africains.

 

1935 : il entre à l’Ecole Normale Supérieure ou il prépare une licence de lettres et un mémoire sur "Le Thème du Sud dans la littérature noire-américaine des USA" . Il échoue à l’agrégation.

 

Il s’éloigne alors de ses préoccupations universitaires, pour des engagements politiques et littéraires…

 

 

II- Engagements politiques

       A - Son arrivée à Paris

 

Au contact des jeunes Africains étudiant à Paris, CESAIRE mais aussi son ami guyanais Léon Gontran DAMAS découvrent progressivement une part refoulée de leur identité : la composante africaine, victime de l'aliénation culturelle caractérisant les sociétés coloniales de Martinique et de Guyane.

Au sein de cette communauté noire, il prend mieux conscience de l’acuité des problèmes humains posés par la colonisation. Il découvre aussi les travaux des ethnologues et historiens sur l’Afrique. Il ne peut pas rester indifférent à un certain nombre d’évènements : débats suscités par l’Exposition coloniale à Paris en 1931, la découverte de l’art nègre, la publication de la Revue du Monde noir (1931), le regroupement d’étudiants noirs en associations…

Dès 1934, il préside l’Association des étudiants martiniquais et il fonde, avec d’autres étudiants antillo-guyanais et africains (parmi lesquels Léon Gontran DAMAS, et Léopold Sédar SENGHOR) le journal L'Étudiant noir, destiné à regrouper les étudiants noirs de Paris et à leur offrir une tribune publique. C’est dans les pages de cette revue qu’apparaîtra pour la première fois le terme de « Négritude ».

 

B - La Négritude

 

CESAIRE le premier emploie ce terme en littérature, en 1939 lors de la première publication du Cahier d'un retour au pays natal.

Le concept est ensuite repris par SENGHOR dans ses Chants d'ombre, qui l'approfondit, opposant « la raison hellène » à l'« émotion noire » :

« Nuit qui me délivre des raisons des salons des sophismes,
des pirouettes des prétextes, des haines calculées des carnages humanisés
Nuit qui fond toutes mes contradictions, toutes contradictions dans l'unité première de ta négritude »

 

La négritude est un courant littéraire et politique rassemblant des écrivains noirs francophones.

Ce terme est forgé en 1935 par Aimé CESAIRE dans le numéro 3 de L'Étudiant noir, et revendique l'identité noire et sa culture. Il nait en réaction à l’oppression culturelle du système colonial français, et vise à rejeter d’une part le projet français d’assimilation culturelle et à promouvoir d’autre part l’Afrique et sa culture, dévalorisées par le racisme issu de l'idéologie colonialiste.

Ce concept rassemble des Noirs de tous les horizons du monde, ainsi que des intellectuels français, notamment SARTRE. Celui-ci définit alors la négritude comme : « la négation de la négation de l'homme noir ».

D'après SENGHOR, « La Négritude est un fait, une culture. C'est l'ensemble des valeurs économiques, politiques, intellectuelles, morales, artistiques et sociales des peuples d'Afrique et des minorités noires d'Amérique, d'Asie et d'Océanie. »

Pour CESAIRE, « ce mot désigne en premier lieu le rejet. Le rejet de l'assimilation culturelle ; le rejet d'une certaine image du Noir paisible, incapable de construire une civilisation. Le culturel prime sur le politique. »

 

Le projet de la Négritude est plus donc revendiqué comme plus culturel que politique. Il s’agit, au-delà d’une vision partisane et raciale du monde, d’un humanisme actif et concret, à destination de tous les opprimés de la planète. CESAIRE déclare en effet : « Je suis de la race de ceux qu’on opprime ».

Le mouvement influença par la suite nombre de personnes proches du Black nationalism, s'étendant bien au-delà de l'espace francophone.

Par la suite, des écrivains noirs ou créoles ont critiqué ce concept, jugé trop réducteur : « Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit sur sa proie et la dévore. » (Wole SOYINKA).

 

C - Retour à la Martinique

 

Épousant en 1937 une étudiante martiniquaise, Suzanne Roussi, Aimé CESAIRE, rentre en Martinique en 1939, pour enseigner, tout comme son épouse. Mais il n’y exerce le métier de professeur que durant cinq ans.

Après un séjour de six mois en Haïti (1944), où la conscience noire est très développée, CESAIRE, coopté par les élites communistes qui voient en lui le symbole d'un renouveau, est élu maire de Fort-de-France, en 1945. Dans la foulée, il est également élu député communiste, mandat qu'il conservera sans interruption jusqu'en 1993.

 Son mandat, compte tenu de la situation économique et sociale d'une Martinique exsangue après des années de blocus et l'effondrement de l'industrie sucrière, est d'obtenir la départementalisation de la Martinique en 1946. Ce rôle lui vaut les critiques de ceux de ces concitoyens qui le trouvent trop inféodé à la France. Peu comprise par de nombreux mouvements de gauche en Martinique déjà proches de l'indépendantisme, à contre-courant des mouvements de libération survenant déjà en Indochine, en Inde ou au Maghreb, cette mesure vise, selon CESAIRE, à lutter contre l'emprise béké sur la politique martiniquaise, son clientélisme, sa corruption et le conservatisme structurel qui s'y attache. C'est, selon lui, par mesure d'assainissement, de modernisation, et pour permettre le développement économique et social de la Martinique, que le jeune député prend cette décision.

 

En 1950, il publie son Discours sur le colonialisme, où il met en exergue l'étroite parenté qu'il existe selon lui entre nazisme et colonialisme. Il y écrit entre autres choses :

« Oui, il vaudrait la peine d'étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d'Hitler et de l'hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu'il porte en lui un Hitler qui s'ignore, qu'Hitler l'habite, qu'Hitler est son démon, que s'il le vitupère, c'est par manque de logique, et qu'au fond, ce qu'il ne pardonne pas à Hitler, ce n'est pas le crime en soi, le crime contre l'homme, ce n'est pas l'humiliation de l'homme en soi, c'est le crime contre l'homme blanc, c'est l'humiliation contre l'homme blanc, et d'avoir appliqué à l'Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu'ici que les arabes d'Algérie, les colonies de l'Inde et les nègres d'Afrique [...] »

 

Il rompt avec le Parti communiste français dès 1956, date à laquelle il démissionna au nom de la «liberté couleur d'homme» (André BRETON) et des aspirations des Antillais, incomprises du parti. Il fonde deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais (PPM), au sein duquel il va revendiquer l'autonomie de la Martinique, et représente ce parti à l’Assemblée nationale comme « député non inscrit » jusqu’en 1993.

Il restera maire de Fort-de-France jusqu'en 2001.

La politique culturelle d'Aimé CESAIRE est incarnée par sa volonté de mettre la culture à la portée du peuple et de valoriser les artistes du terroir. Elle est marquée par la mise en place des premiers festivals annuels de Fort-de-France en 1972.

 

Il se retire de la vie politique (et notamment de la mairie de Fort-de-France en 2001), mais reste un personnage incontournable de l'histoire martiniquaise jusqu'à sa mort.

On notera sa réaction à la loi française du 23 février 2005 sur les aspects positifs de la colonisation qu'il faudrait évoquer dans les programmes scolaires, loi dont il dénonce la lettre et l'esprit et qui l'amène à refuser de recevoir Nicolas SARKOZY. En mars 2006, Aimé CESAIRE revient sur sa décision et reçoit Nicolas SARKOZY puisque l'un des articles les plus controversés de la loi du 23 février 2005 a été abrogé.

 

Idéologue plus que révolutionnaire, il est de plus en plus accusé aujourd’hui, par certains Martiniquais, de s’être contenté de gérer, au mieux des intérêts de l’île, une situation coloniale.

Rétrospectivement, son cheminement apparaît étrangement contourné, en contraste avec la pensée de la négritude qu'il a développée par ailleurs. Il semble avoir été davantage à la remorque des initiatives prises par les gouvernements qu'un élément moteur de l'émancipation de son peuple.

 

                D - Son parcours politique

 

De 1945 à 2001 : maire de Fort-de-France (durant 56 ans)

De 1945 à 1993 : député de la Martinique (durant 48 ans)

De 1945 à 1949 et 1955 à 1970 : conseiller général de Fort-de-France

De 1983 à 1986 : président du conseil régional de la Martinique

 

 

III - Engagements littéraires

       A - Contre le doudouisme

 

Ayant réussi en 1935 le concours d'entrée à l'École normale supérieure, Aimé CESAIRE passe l'été en Dalmatie chez son ami Petar GUBERINA (1913-2005, linguiste croate) et commence à y écrire le Cahier d'un retour au pays natal, qu'il achèvera en 1938.

 

La situation martiniquaise à la fin des années 1930 est celle d'un pays en proie à une aliénation culturelle profonde, les élites privilégiant avant tout les références arrivant de la France, métropole coloniale. En matière de littérature, les rares ouvrages martiniquais de l'époque vont jusqu'à revêtir un exotisme de bon aloi, pastichant le regard extérieur manifeste dans les quelques livres français mentionnant la Martinique. C’est le doudouisme (mouvement littéraire faisant usage d'une représentation convenue, dans la littérature française, de la réalité de la France d'outre-mer, en particulier des Antilles françaises. Il se caractérise par sa propension à ne retenir de ses territoires que leurs manifestations les plus exotiques, retournant au lecteur des descriptions pleines de clichés mais satisfaisantes d'un point de vue métropolitain). Ce doudouisme, dont des auteurs tels que Mayotte CAPECIA (1916-1955, La Négresse blanche) sont les tenants, va nettement alimenter les clichés frappant la population martiniquaise.

 

C'est en réaction à cette situation que le couple CESAIRE, épaulé par d'autres intellectuels martiniquais comme René MENIL (1907-2004, philosophe martiniquais, professeur dans le même lycée que CESAIRE, Tracées : identité, négritude, esthétique aux Antilles), Georges GRATIANT (1907-1992, avocat et homme politique martiniquais), et Aristide MAUGEE (homme politique martiniquais), fonde en 1941 la revue Tropiques. Dans un contexte répressif (instauré par le régime de Vichy), la censure vise directement cette revue, qui paraîtra, avec difficulté, jusqu’en 1943.

 

                B - Le surréalisme

 

Le conflit mondial marque également le passage en Martinique du poète surréaliste André BRETON (1896-1966, écrivain, poète et essayiste français, il est le théoricien et le chef de file du surréalisme, Nadja, L’Amour fou, Manifestes du surréalisme…), qui relate ses péripéties dans un bref ouvrage, Martinique, charmeuse de serpents, en 1948. Il découvre la poésie de CESAIRE à travers le Cahier d'un retour au pays natal et le rencontre en 1941. En 1943 il rédige la préface de l'édition bilingue du Cahier d'un retour au pays natal, et en 1944 celle du recueil Les Armes miraculeuses, qui marque le ralliement de CESAIRE au surréalisme.

 

Le surréalisme est un mouvement artistique qu'André BRETON définit dans le premier Manifeste du Surréalisme comme « automatisme psychique pur, par lequel on se propose d'exprimer, soit verbalement, soit par écrit, soit de toute autre manière, le fonctionnement réel de la pensée. Dictée de la pensée, en l'absence de tout contrôle exercé par la raison, en dehors de toute préoccupation esthétique ou morale ».

« Le surréalisme repose sur la croyance à la réalité supérieure de certaines formes d'associations négligées jusqu'à lui, à la toute-puissance du rêve, au jeu désintéressé de la pensée. Il tend à ruiner définitivement tous les autres mécanismes psychiques et à se substituer à eux dans la résolution des principaux problèmes de la vie ».

Le surréalisme explore de nouvelles techniques de création qui laissent le champ libre à l'inconscient et force la désinhibition des conditionnements : écriture automatique, récits dictés pendant le sommeil forcé…

 

Sans y participer pleinement, Aimé CESAIRE apprécie chez les Surréalistes le sens de l’action révolutionnaire, le refus du conformisme bourgeois, le goût de l’art nègre, les campagnes contre la guerre du Rif (1962, populations du nord du Maroc opposées à la France et l’Espagne) et l’Exposition coloniale… Il aime moins cependant leur appel au subconscient, à l’automatisme ou à l’onirisme.

CESAIRE trouve en fait en eux des compagnons de route en vue du combat contre l’aliénation de l’Homme. Il découvre aussi grâce à eux la poésie de RIMBAUD (1854-1891, poète français, Une saison en enfer, Le Dormeur du val) ou de LAUTREAMONT (1846-1870, poète franco-urugayen, Les Chants de Maldoror), dont il admire le désir de changer le monde par la force des mots, comme une arme explosive.

 

                C-Postérité

 

En 1947 CESAIRE crée avec Alioune DIOP (1910-1980, intellectuel sénégalais qui a joué un rôle de premier plan dans l’émancipation des cultires africaines) la revue Présence africaine. En 1948 paraît l'Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, préfacée par Jean-Paul SARTRE (1905-1980, philosophe et écrivain français, La Nausée, Les Mains sales, L’Existentialisme est un humanisme…), qui consacre le mouvement de la « négritude ».

 

Son Discours du colonialisme fut pour la première fois au programme du baccalauréat littéraire français en 1994, avec le Cahier d'un retour au pays natal.

Il  influencera des auteurs tels que Frantz FANON (1926-1961, psychiatre et essayiste martniquais, l’un des fondateurs du courant de pensée tiers-mondiste, Peau noire, Masques blancs), Édouard GLISSANT (né en 1928, écrivain et poète martniquais, fondateur du concept d’antillanité, Mémoires des esclavages), qui ont été ses élèves au lycée Schoelcher, Daniel MAXIMIN (né en 1947, écrivain et poète guadeloupéen, Les Fruits du cyclone : une géopolitique de la Caraïbe) et bien d'autres. Sa pensée et sa poésie ont également nettement marqué les intellectuels africains et noirs américains en lutte contre la colonisation et l'acculturation.

                                                                             

Des obsèques nationales ont été célébrées le 20 avril 2008 à Fort-de-France, en présence du chef de l'État. Un grand discours a été prononcé par Pierre Aliker, son ancien premier adjoint à la mairie de Fort-de-France, âgé de 101 ans. Sur sa tombe sont inscrits des mots choisis par Aimé CESAIRE lui-même et extraits de son Calendrier lagunaire :

 

« La pression atmosphérique ou plutôt l'historique

Agrandit démesurément mes maux

Même si elle rend somptueux certains de mes mots »

 

D-Bibliographie

 

Œuvres

1939 Cahier d'un retour au pays natal

1946 Les Armes miraculeuses, 1946

1947 Soleil cou coupé, 1947

1950 Corps perdu (gravures de Picasso

1960 Ferrements

1961 Cadastre

1976 Œuvres complètes (trois volumes)

 

Poésie

1982 Moi, laminaire

1994 La Poésie

 

Théâtre

1958 Et les chiens se taisaient

1963 La Tragédie du roi Christophe

1966 Une saison au Congo

1969 Une tempête, d'après La Tempête de William Shakespeare : adaptation pour un théâtre nègre

 

Essais

1948 Esclavage et colonisation

1950 Discours sur le colonialisme

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1987 Discours sur la négritude

 

Histoire

1962 Toussaint Louverture, La révolution Française et le problème colonial

Publié dans Bibliothèque

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